143 000 personnes sans-abri aujourd'hui | Samusocial de Paris
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143 000 personnes sans-abri aujourd'hui

04 Apr 2017 • Tribune

Combien en 2022 ? 

Nos 20 propositions aux candidats à l'élection présidentielle pour lutter contre la grande exclusion.

On estime à environ 143 000 le nombre de personnes sans-abri en France, un nombre en augmentation de 44 % entre 2001 et 2012. Fort probablement, depuis, celui-ci n’a fait qu'augmenter.

A Paris, arpenter les rues, les couloirs du métro, les allées des Bois suffit à constater l’ampleur du phénomène. Or les personnes sans domicile identifiables dans la rue ne sont que la partie visible d’un ensemble plus vaste auquel s’ajoutent celles que l’on ne remarque pas, celles qui se cachent, celles qui parviennent encore à survivre de la solidarité de leur entourage, et toutes celles qui souffrent du mal logement.

Massification de la demande d’hébergement d’urgence, diversification des publics et des besoins, insuffisance ou déficience de certains dispositifs de droit commun, absence de relais aux dispositifs d’urgence sociale et d’hébergement qui freine l’accès au logement : la situation ne cesse d’empirer.

L’exclusion n’est pourtant pas une fatalité. Réduire le nombre de personnes à la rue est possible.

Loin des objectifs « zéro SDF », il est possible d’agir pour éviter la rue à certains, possible de secourir d’autres au plus vite et éviter leur embourbement dans des dispositifs inadaptés à leurs besoins, et aussi possible de travailler avec les personnes plus ancrées dans la rue à des solutions qui leur permettront de vivre plus dignement.

N’oublions pas que si un petit nombre de personnes refuse toute solution, ces irréductibles sont peu nombreux. Les équipes de maraudes, des accueils de jour comme les écoutants des 115 peuvent témoigner du nombre de personnes qui quotidiennement demandent un hébergement que ces équipes n’ont pas les moyens de satisfaire ; les équipes d’accompagnement et de soins peuvent également témoigner de l’attente beaucoup trop longue des personnes hébergées dans les centres pour accéder au logement, et de la perte d’énergie qui en découle, voire du nombre de personnes qui retournent à la rue faute de solution de sortie.

A la veille de l’élection présidentielle, le Samusocial de Paris interpelle les candidats sur la priorité qu’ils entendent donner à la lutte contre la grande exclusion, les moyens qu’ils mettront dans ce combat, et les engagements qu’ils sont prêts à prendre aujourd’hui devant l’ensemble des citoyens, tous concernés par le spectacle de la misère qui se joue quotidiennement sous leurs yeux et auquel nul ne demeure insensible.

PREVENIR

Rares sont ceux qui se retrouvent à la rue du jour au lendemain. Bien plus souvent, la rue est le fruit d’un long parcours, plus ou moins erratique, où se mêlent vulnérabilités, notamment familiales et/ou psychologiques, survenue de difficultés (d’emploi, financières, maladie…), et découragement face à des systèmes d’aides trop complexes à actionner, et parfois stigmatisants.

Trop souvent, arrivent dans les dispositifs d’hébergement d’urgence des personnes dont il est facile d’identifier les failles de prise de charge ayant abouti à la rue. La prévention doit ainsi être un axe fort pour lutter efficacement contre la grande exclusion. Eviter la rue devrait être le devoir de tous les acteurs de droit commun en contact avec les personnes en situation de fragilité .

Action 1 : une charte de responsabilité pour les acteurs publics

Engager les acteurs de droit commun, parmi lesquels la direction de l’administration pénitentiaire et le Ministère de la justice, la Protection de l’Enfance et les conseils départementaux, ainsi que les hôpitaux, dans une charte de responsabilité créant notamment des obligations de continuité de prise en charge jusqu’à la sortie vers une solution adaptée et un maillage avec les acteurs relais. Il est inadmissible de voir des jeunes de 18 ans, en fin de prise en charge par la Protection de l’Enfance, et donc par définition sans ressource et sans soutien familial, devoir avoir recours au 115. De même qu’il n’est pas admissible qu’une personne sortant de prison, pour laquelle la sortie est programmée, se retrouve sans domicile après son incarcération.

Action 2 : améliorer la prévention des expulsions locatives

Eviter les expulsions locatives par le développement en amont des interventions : identification rapide des personnes en difficulté de paiement dès les premiers impayés, accompagnement social mobile de ces personnes afin de travailler sur les droits, la gestion du budget, et si besoin la recherche d’alternatives, avec un maintien dans le logement contre indemnisation du bailleur.

Action 3 : éviter la rue aux plus jeunes

Pour lutter contre les difficultés des jeunes en situation de précarité, créer un revenu minimum de subsistance et développer des foyers de jeunes travailleurs accessibles à tous, idéalement en lien avec des acteurs économiques de proximité afin de faciliter l’insertion.

ADAPTER LE DISPOSITIF AUX BESOINS

Les dispositifs d’urgence sont sous-dimensionnés. Jamais le rythme de création de nouvelles places ne permet d’absorber le nombre de personnes à la rue. D’une part parce qu’elles ne répondent pas à la demande exprimée, mais également parce qu’existe une importante demande invisible composée des personnes qui ne cherchent plus à accéder à une place d’hébergement, trop difficile à obtenir, sauf parfois au moment de l’hiver compte tenu des ouvertures de places temporaires. Sans une création massive de places, il est impossible de redonner du souffle à l’ensemble du système et de travailler avec les personnes à des sorties de rue.

Action 4 : créer 10 000 places

A l’échelle de l’Ile-de-France, 10 000 places d’hébergement durable sont nécessaires immédiatement. De différents types, elles doivent répondre à la diversité des besoins et au degré d’autonomie des personnes, en veillant à ce que ces places ne soient pas des lieux de relégation mais des lieux ancrés dans la cité, ouverts sur l’extérieur afin que se retissent le lien avec la société, pierre angulaire pour l’insertion.

Action 5 : mettre en place des équipes mobiles d’évaluation

Tout entrant dans les dispositifs d’urgence devraient faire l’objet, en parallèle de l’évaluation sociale, d’une évaluation médicale et psychologique permettant de mieux connaître sa situation et ses besoins, et ainsi l’orienter vers des propositions adaptées. Pour ce faire, des équipes mobiles sanitaires doivent être mises en place.

Action 6 : renforcer les maraudes professionnelles

Les maraudes professionnelles doivent pouvoir mener leur mission d’aller vers, et pouvoir proposer des solutions d’hébergement aux personnes. A l’accroissement du nombre de places, doit s’ajouter un accroissement du nombre d’équipes.

Action 7 : reloger rapidement les plus autonomes

Des personnes pourraient sortir rapidement de leurs difficultés si un lieu d’habitat leur était immédiatement proposé. Or aujourd’hui, elles accèdent difficilement à des dispositifs qui en situation de pénurie de places tendent à se concentrer sur les personnes les plus vulnérables. Créer des réponses alternatives souples, avec un faible encadrement (par exemple des appartements partagés), permettrait d’éviter la rue à ces personnes.

Action 8 : développer des solutions adaptées au degré d’autonomie des personnes

Le modèle des pensions de famille a prouvé depuis longtemps sa capacité à faire retrouver un domicile à des  personnes peu autonomes ayant connu de longs temps de rue. De même, l’expérience un chez soi d’abord, qui consiste à faire accéder directement des personnes au logement avec un accompagnement global à domicile prouve depuis plusieurs années son efficacité. Ces modèles doivent être massivement encouragés.

Action 9 : créer des structures de soins pour les personnes souffrant de problème de santé mentale

En 2009, l’étude Samenta a montré que les troubles psychiatriques sévères concernent plus d’un tiers des personnes dans le dispositif d’urgence (34,1%) et dans les hôtels sociaux (35,2%). Pour ces personnes, la prise en charge par la psychiatrie de secteur, qui implique une compliance, se révèle inadaptée, de même que la prise en charge dans les centres d’hébergement du fait de l’absence d’équipe psychiatrique. Des lieux dédiés sont à créer pour que la rue cesse d’être le réceptacle des déficiences des systèmes de soins psychiatriques.

MODERNISER LE RECOURS AU DISPOSITIF D'AIDE D'URGENCE

Simplifier le recours aux dispositifs d’urgence est un impératif, que ce soit pour les personnes en direct ou les acteurs du secteur. SIAO et 115 peinent aujourd’hui à répondre aux demandes. La condition indispensable est bien évidemment, on l’a évoqué précédemment, la création de places qui permettra à ces acteurs de retrouver leur rôle d’orientation et d’adaptation des propositions aux besoins des personnes. Une modernisation des recours est toutefois impérative.

Action 10 : faciliter l’accès

Lever les freins à l’accès aux droits pour les personnes en situation de logement précaire. Certains services sont trop difficilement accessibles et trop restrictifs (les conditions d’accès après une certaine durée de rue doivent être levées). Les accueils de jour doivent venir renforcer leur rôle de point d’entrée dans les dispositifs, et des équipes d’intervention sanitaire, sociale et juridique intervenir dans les CHU ou via des permanences pour favoriser l’accès aux droits, les orientations vers les dispositifs médico-sociaux, et sanitaires adaptés.

Action 11 : améliorer la joignabilité du 115

Toute personne sans abri doit avoir droit à un service accessible, lui offrant information, soutien et orientation vers les ressources et acteurs de proximité pouvant lui venir en aide.

Action 12 : créer une solidarité entre territoires

La coordination des actions et la solidarité entre territoires est indispensable. Dans une métropole comme Paris, la gestion départementalisée n’a aucun sens. Il importe par exemple, dans les propositions faites aux personnes, de pouvoir proposer à celles qui le souhaitent une orientation dans des structures ou logements du parc social sur d’autres territoires, avec une continuité de l’accompagnement. Pour ce faire une meilleure visibilité des offres est nécessaire. Il s’agit de permettre ainsi l’installation dans des territoires moins tendus.

FAVORISER UNE SORTIE RAPIDE DES DISPOSITIFS

Les centres d’hébergement hébergent désormais pour la plupart en continu les personnes sans domicile, un véritable progrès qui permet de stabiliser leur situation, de travailler sur l’ouverture de leurs droits, et sur un projet de sortie de rue. Cependant, l’engorgement des solutions de sortie, de l’insertion au logement, oblige les personnes à rester dans les centres d’hébergement bien trop longtemps : l’énergie qui devrait être mise pour avancer dans les projets de vie se perd en attente, et les places qui devraient être libérées pour permettre l’accès à de nouvelles personnes à la rue restent occupées par des personnes qui devraient se trouver dans d’autres dispositifs ou, tout simplement, vivre de façon autonome. Si résoudre ce problème d’engorgement est évidemment à court terme complexe, puisqu’il dépend en partie de la construction massive de logements accessibles pour les personnes aux revenus les plus bas, quelques mesures permettraient cependant d’accélérer les processus de sortie.

Action 13 : établir des accès prioritaires aux logements très sociaux

Etablir des accès prioritaires aux logements très sociaux pour les personnes accueillies dans les dispositifs d’hébergement (par exemple, au Danemark, 25% des logements sociaux sont réservés aux personnes les plus « marginales »). Actuellement dans les centres d’hébergement se trouvent de nombreux travailleurs pauvres qui devraient pouvoir accéder en priorité à ce type de logements.

Action 14 : réserver des places en EHPAD et foyers logements

Réserver des places en EHPAD (Etablissement d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes) et foyers logements pour les personnes sans abri vieillissantes.  Il s’agit notamment de repérer les personnes à la rue ou hébergées de plus de 55 ans en lien avec les équipes de maraudes les accueils de jour et les centres d’hébergement, sous la coordination du SIAO qui doit avoir une connaissance des places disponibles dans les structures pour personnes âgées, mais aussi de faciliter les dérogations d’âge pour les personnes sans domicile vieillissantes en systématisant l’accès dès 55 ans pour toutes les personnes ayant un parcours de rue important.

Action 15 : faciliter l’accès à un emploi adapté

Développer l’accès à des formes d’emploi diversifiées pour les personnes hébergées. Le dispositif « 1ères heures » expérimenté à Paris doit être amplifié. Il permet un premier pas vers l’insertion à ceux qui sont très éloignés de l’emploi en offrant des postes adaptés à leur profil et à leurs capacités. Les Ateliers d’Adaptation à la Vie Active (AVA) constituent également une expérience intéressante qu’il convient de développer. De même, les travailleurs pairs doivent être reconnus. Ces anciens de la rue qui souhaitent pouvoir aider de la même manière qu’ils ont été aidés enrichissent le travail social et ouvrent une forme de participation des personnes accueillies dans les dispositifs. Les postes dans les structures sociales doivent se multiplier.  Enfin, il doit être envisagé de rendre pérennes certains emplois proposés par l’IAE pour des personnes présentant des difficultés très importantes d’accès à l’emploi classique.

Action 16 : permettre aux demandeurs d’asile de travailler

Pour les demandeurs d’asile, la possibilité doit être donnée de travailler le temps de l’instruction de leur demande. Cette période laisse trop souvent les personnes sans ressource, et casse l’énergie avec laquelle ils arrivent pour s’engager dans une nouvelle vie.

Action 17 : régulariser les personnes coincées dans les labyrinthes administratifs

Certaines personnes se retrouvent depuis de trop nombreuses années bloquées dans les dispositifs d’hébergement du fait de procédures de régularisation sans fin. C’est le cas de nombreuses familles à l’hôtel, mais aussi de personnes isolées ne pouvant accéder à des EHPAD du fait de l’absence de papiers. Pour les personnes non expulsables, seule une régularisation peut permettre la sortie des centres d’hébergement et pour certaines le retour à l’autonomie.

PROFESSIONNALISER L'HOTELLERIE SOCIALE ET REDUIRE SA PLACE

Le plan de réduction des nuitées hôtelières, engagé par le Ministère du Logement en février 2015, a permis quelques avancées en développant des alternatives à l’hôtel et en améliorant la qualité de vie à l’hôtel. Toutefois, il a au mieux freiné la croissance du recours à l’hébergement hôtelier pour les familles. Des mesures courageuses s’imposent pour en finir, ou du moins réduire drastiquement l’hébergement hôtelier dans les 15 années à venir.

Action 18 : créer des alternatives à l’hôtel

Créer massivement des alternatives à l’hôtel dans les trois prochaines années pour organiser une sortie du tiers des familles aujourd’hui hébergées dans des hôtels présentant des conditions de vie inacceptables.

Action 19 : réglementer l’hôtellerie sociale

Réglementer le secteur pour favoriser le développement d’un modèle unique d’hôtellerie sociale adaptée aux familles et contrôlé régulièrement.

Action 20 : faciliter les acquisitions

Assouplir les contraintes réglementaires pour permettre le rachat d’hôtels sociaux par des acteurs du secteur, et leur transformation en une hôtellerie sociale digne adaptée aux familles.


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