Au Samusocial de Paris, entre dilemmes et réflexion au sein de l’Instance éthique | Samusocial de Paris
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Au Samusocial de Paris, entre dilemmes et réflexion au sein de l’Instance éthique

28 Aug 2024 • Reportage

Depuis 2019, au Samusocial de Paris, un groupe pluridisciplinaire constitué d’agent·es, d’usager·es, mais aussi de membres extérieurs, réfléchit à des problématiques éthiques rencontrées par les services. Ainsi, une trentaine de personnes se réunit tous les 4 mois pour analyser et débattre d’un cas concret posant une question sur le plan éthique. A cette occasion, l’Instance éthique nous a ouvert ses portes pour y assister.

Instance éthique

Un concept philosophique pour analyser les situations 

« Dans une situation délicate, dois-je suivre l’avis de mes collègues ou plutôt faire confiance à mon intuition ? », « Suis-je légitime à faire cet acte ? », « Ai-je le droit de ne pas être d’accord avec mon équipe ? Je me sens perdu face à une décision, comment en parler ? » L’éthique est une branche de la philosophie qui s'intéresse aux comportements humains et, plus précisément, à la conduite des individus en société. Cette réflexion invite à explorer une diversité d'options, de choix, d'actions à entreprendre dans une situation. Dans des situations de doute ou de blocage, c’est un moment que l’on peut prendre pour s’écouter, avoir un jugement critique sur ses propres présupposés et le questionnement qui en ressort. Comme le souligne Juliette Berthold, membre et chargée du développement de l’éthique à la direction Qualité : « Il m'arrive souvent, par exemple, de discuter avec un agent ou une agente et de me rendre compte qu'il ou elle me raconte une situation qui pourrait être vraiment très intéressante à discuter d'un point de vue éthique, sans que la personne ne s’en rendre compte. Je lui fais alors remarquer que cela pourrait être discuté en Instance éthique, mais il faut en général discuter 2 à 3 fois avant que la personne ne se dise : « Ah mais oui, c'est effectivement légitime » »

Pourquoi une instance éthique au Samusocial ? 

En 2019, aucun espace n’est pleinement dédié à la réflexion éthique au sein du Samusocial de Paris. Pourtant, un besoin croissant se fait ressentir par les agent·es : discuter des moments de doute, d’interrogation, et de dilemmes rencontrés à la fois dans les métiers d’accompagnement et les métiers support et d’appui. C’est ainsi que la direction Qualité s’inspire de ce qui avait déjà été mis en place dans d’autres établissements sociaux et médico-sociaux pour intégrer la démarche éthique au cœur des équipes. Naissent alors les cafés de l’éthique, les ateliers de l’éthique, ainsi que les instances éthique. 

La mission qui est d’accompagner des décisions médicales et sociales complexes sur le plan éthique n’est pas de tout repos. Faut-il privilégier la qualité de vie de l’usager·e ou notre connaissance et le respect des procédures légales ? Que dire à une équipe soignante en conflit avec une personne accompagnée ? Pouvons-nous réaliser un accompagnement digne de soins palliatifs ? Comment comprendre et ensuite agir lorsqu’il y a une opposition des conceptions de l’accompagnement ? 

Au Samusocial de Paris, tou·te·s les agent·es ont la possibilité de saisir l'Instance et de partager un cas ou une situation. Mais attention « C'est une instance de discussion et non de décision », précise Juliette, « l'objectif est que ce soient les équipes, qui sont évidemment actives, qui décident des choix qu'elles font car ce sont elles qui s'occupent des personnes confrontées à ces situations ». Elle ajoute « il faut accepter qu'on aille à une instance pour qu'il y ait des choses différentes et parfois qui nous choquent qui soient dites par d'autres personnes. Il s’agit d’accepter la différence et presque être là pour écouter cette différence. C'est une position d'humilité en se disant que l’on n’a pas la science absolue, et que peut-être que notre jugement va évoluer sur cette question ».  

Composée de plusieurs membres permanents, chacun joue un rôle défini au sein de l’instance : Muriel Boissiéras, directrice qualité ; Fanny Guemert, responsable travail social au pôle hébergement et logement ; Juliette Berthold, chargée du développement de l’éthique ; Catherine Dekeuwert, philosophe spécialisée en éthique ; ainsi que Clémence Morterol, juriste. À ces membres permanents s'ajoute une trentaine de membres internes représentant une diversité de professions et de pôles du Samusocial, telles que médecins, psychologues, travailleurs sociaux, chauffeurs, psychiatres, responsables d'établissement, épidémiologistes, etc. La plupart d’entre eux ont suivi une des formations en éthique proposées par le Samusocial de Paris.  

L’éthique en pratique 

Le cas évoqué ce 9 janvier 2024 concerne un homme que nous nommerons Monsieur X. Agé de 74 ans, il est hébergé en Lits d'Accueil Médicalisés (LAM) depuis 2022. Socialement isolé, il souffre de plusieurs problèmes de santé définis comme aigus par l’équipe médicale. 

Depuis juillet 2023, il est atteint d'une tumeur de l'oropharynx. Plusieurs tentatives de traitements curatifs se sont révélées infructueuses en raison notamment des troubles cognitifs de Monsieur X et de son refus de certains soins. Cette situation a entraîné une dénutrition progressive et des difficultés de déglutition. Bien qu'il soit capable de donner son avis verbalement, il est dans l'incapacité d'émettre un avis éclairé. Actuellement, Monsieur X est hospitalisé et se trouve en unité de soins palliatifs. Il exprime le souhait de retourner au Samusocial de Paris, en LAM.  

Face à ce cas, les équipes soignantes du LAM ont sollicité l'instance éthique. Elles ont fait part des difficultés rencontrées dans la prise en charge de Monsieur X. De plus, la première expérience de prise en charge en soins palliatifs d’une personne, encore récente, a été particulièrement éprouvante pour elles. Malgré leur profond attachement aux personnes qu'elles accompagnent - comme le souligne une des aides-soignantes présentes ce jour-là en les qualifiant de « chouchous », elles se questionnent sur leur capacité à accueillir dignement Monsieur X. Ont-elles les soins et le matériel nécessaires ? Disposent-elles du personnel en nombre suffisant dans l'équipe ? À cela s'ajoute la charge mentale considérable que représente l'accompagnement en soins palliatifs, surtout pour des équipes qui n'ont pas été formées à cette pratique.  

À la suite de l’exposition de ces difficultés, les membres de l’instance présents vont tous réfléchir aux dilemmes éthiques soulevés par ces questions et à des pistes de solutions. 

Avant d'entamer la discussion la juriste procède à un rappel juridique en lien avec le cas du jour, étape indispensable à chaque séance qui fournit un cadre légal clair. Cela permet de délimiter ce qui est légalement possible de faire ou non et de répondre également aux interrogations des membres. Quelle est la définition du domicile selon le Code civil ? Quelles en sont les implications ? Comment les soins palliatifs sont-ils définis dans le Code de la Santé Publique ? Quelles sont les dispositions de la loi Kouchner de 2002 ? Que dit la loi Leonetti de 2005 ? Autant de questions cruciales pour la discussion, auxquelles la juriste apporte des réponses.  

Discussions, réflexion éthique, pistes d’actions  

La réflexion collective permet de confronter les différents points de vue et de mieux cerner les enjeux éthiques de ce cas. Quels sont-ils ? Pourquoi cette situation pose problème ? Le dilemme éthique provient ici d’une opposition entre le souhait de Monsieur X et les interrogations de l’équipe. Toute une série de questions se pose alors : faut-il respecter la volonté de Monsieur ou respecter les réticences de l’équipe ? Est-ce légitime de refuser une fin de vie en LAM ? Qu’est-ce qui s’exprime dans la volonté de Monsieur de revenir au LAM ? Quelles seraient les conditions matérielles et humaines qui permettraient d’offrir une fin de vie digne à Monsieur ? En parallèle de la dignité, d’autres notions éthiques comme la bienfaisance ou la non malfaisance permettent d’approfondir le questionnement : serait-on malfaisant en laissant Monsieur en unité de soins palliatifs ? Serait-ce bienfaisant de l’accueillir alors que l’équipe ne s’y sent pas prête ? A quel point la volonté de Monsieur peut-elle primer sur les risques médicaux qu’il encourt ? Dans quelle limite sommes-nous à mêmes d’assurer sa protection ?  

La discussion a ainsi permis de relever d’autres points de tension éthique qui touchent aux spécificités du LAM. Comment tenir compte de l’attachement particulier de l’équipe du LAM envers les hébergés parfois présents depuis des années ? Cette question est d’autant plus cruciale que les membres de l’équipe représentent les seuls proches de Monsieur X. Comment combiner son souhait de revenir au LAM au sein duquel il se sent chez lui et la protection des équipes dont l’attachement est mis à mal pendant cette période de fin de vie ?   

Après une heure et demie de débats, Catherine Dekeuwert, synthétise les échanges et les reformule en questions éthiques pour relancer les débats. Les discussions se poursuivent donc, avant d'envisager des pistes d'action concrètes, tant pour la personne concernée que pour les équipes : formations en soins palliatifs, mise en place de protocoles pour les nouvelles admissions, renforcement des groupes de parole et du soutien psychologique pour les résidents et le personnel, ainsi qu'un test de retour sous conditions de Monsieur X pendant 24 à 48 heures.  

Ainsi se clôturent les discussions, dont le compte-rendu sera envoyé à l'ensemble du personnel.  

14 cas évoqués depuis 2019  

Le cas de Monsieur X, tout comme ceux traités lors des instances éthiques, est unique. Aucune solution, même pour des situations présentant des similitudes, ne sera automatiquement réutilisée. En effet, il n'existe pas de jurisprudence en matière d'instances éthiques, tant les cas abordés sont complexes et variés. Cependant, tous sont examinés avec une préoccupation commune : « Nous voulons être bienveillants et faire au mieux dans notre métier. Il y a des instances où l'on sent que les participants penchent plutôt d'un côté. Cela se ressent dans certains comptes-rendus. Il y en a d'autres où il y a des divergences d'opinions, où personne ne pense de la même manière, et il est vraiment important de ne pas chercher à obtenir un consensus à tout prix, car ce n'est pas l'objectif », explique Juliette. Elle rappelle néanmoins que « l'intérêt suprême demeure toujours celui de la personne accompagnée ou de la personne concernée par la situation ».  

Bien que principalement sollicitée par des agents, l'instance éthique encourage vivement les usagers à y recourir également. Elle s'efforce constamment de se renouveler en intégrant de nouveaux membres, en favorisant la représentation de la parole des usagers et en diversifiant les profils.  


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